Les préoccupations à l’articulation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et des problématiques liées au genre concernent les chercheurs francophones dans sa diversité et sa pluralité culturelle. Que ce soit au sein des espaces francophones ou au-delà, et pour ce qui concerne les contributions de ce numéro : Afrique subsaharienne, pays du Maghreb, Moyen-Orient… L’importance des recherches sur les problématiques liées au genre et à la place des femmes ne peut être niée. Ce numéro 15 de Frantice présente des recherches qui se sont intéressées aux questions de genre en contextes de formations instrumentées par les réseaux et les technologies numériques. De quelles manières les regards se sont-ils croisés ? Trois (3) tendances essentielles se dégagent concernant principalement. Pour la première tendance s’intéresse aux acteurs, notamment sur les questions d’accessibilité, de compétences, d’obstacles et de freins à l’adoption des technologies ainsi que les opportunités que leur offrent les TIC pour la formation. La deuxième tendance s’intéresse aux usages des TICE (internet) et la troisième tendance s’intéresse à la qualité de l’enseignement et les dispositifs qui sont mis en œuvre pour la formation en présentiel ou à distance. S’agissant de la formation à distance, on peut dont constater que le mobile Learning au Sénégal est utilisé par les femmes pour participer à l’éducation ; les campus numériques sont utilisés pour la formation à distance et le dispositif IFADEM quant à lui est un relais à la formation continue des enseignantes et des enseignants dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Les sept contributions se déclinent ainsi (cinq dans le cœur de l’appel à contribution, et deux dans la rubrique RIO, à la marge de l’appel pour ce numéro) :
Dossou Anani Koffi Dogbe-Semanou traitent de l’engagement des femmes dans les formations à distance en Afrique subsaharienne. Ils mettent en lumière les obstacles à l’engagement des femmes subsahariennes dans les FAD et quelques leviers pour les résoudre. Deux types de facteurs : l’environnement socioculturel, et surtout le degré d’ouverture offert par les dispositifs de formation ont un impact positif ou négatif sur les obstacles à l’engagement des Africaines en formation à distance. Ainsi identifiés, quelques leviers sont discutés pour contourner ces obstacles, et pour pouvoir les intégrer dans des pratiques et les ingénieries pédagogiques, allant vers une ouverture négociée des dispositifs de formation à distance.
Sylvestre Kouakou Kouassi, quant à lui, s’intéresse aux déterminants de l’adoption de l’apprentissage mobile par les étudiantes de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Dans sa communication, il s’appuie sur l’UTAUT pour identifier et évaluer l’utilité perçue, l’influence sociale, l’enjouement perçu comme exerçant une influence positive et significative sur l’intention d’adoption du m-apprentissage. Il arrive aussi aux résultats paradoxaux selon lesquelles certaines variables essentielles à savoir la facilité d’utilisation perçue (effort attendu) et les conditions de facilitation n’exercent aucune influence significative sur l’intention d’adoption du m-apprentissage.
Raeda Alhareth propose une discussion, à la fois à partir d’empiries et de travaux de recherche, sur les opportunités que les dispositifs de formation à distance en Arabie Saoudite offrent aux femmes saoudiennes. Elle montre qu’en Arabie Saoudite, du fait de l’augmentation importante et continue de la population, la formation à distance présente une modalité d’étude possible et qui permet de contourner les obstacles qu’elles ont pour accéder à une formation universitaire, liés à la place et au statut des femmes dans cette société. Cette modalité de formation élargit pour les femmes l’accès à l’éducation formelle et non formelle. Elle permet également réduire sensiblement les barrières sociales, culturelles et économiques qui entravent leur capacité à poursuivre des études à l’université.
Mohammed Mastafi a étudié l’usage d’Internet chez les futurs enseignants : le rôle du stéréotype de genre. Il commence par le constat que les usages d’Internet se développent rapidement et chaque jour on assiste à de nouveaux usages. Sa recherche se propose d’identifier les usages d’Internet fréquemment pratiqués par les futurs enseignants et de vérifier de quel ordre est l’influence du genre sur les orientations de ces usages. Pour ce faire, il a mené une enquête par questionnaire auprès de 292 futurs enseignants. À la lumière de l’analyse des résultats, des différences importantes ont été mises en évidence entre les femmes et les hommes, à la fois à ce qui a trait aux modes et moyens de connexion, qu’à la fréquence et aux types d’usage.
Quant à eux, Ginette Sosso Asse, Marcelline Djeumeni Tchamabe, Dave Ango dans leur article sur l’étude de quelques déterminants psychosociologiques sur le choix des filières techniques et technologiques par les filles au Cameroun ont voulu comprendre comment les filières technologiques, bien que porteuses d’avenir, soient toujours aussi genrées ? Ils utilisent la théorie des rôles de genre qui propose d’associer deux conceptions : psychologiques et sociologiques plutôt que de les dissocier pour comprendre le phénomène étudié. L’analyse statistique montre que les filles ont un sentiment d’auto-efficacité faible lié aux déterminants sociaux (préjugés, famille et division sexuelle de travail) ce qui affectent leur estime de soi et leur motivation à s’orienter vers les filières technologiques.
L’espace RIO de ce numéro nous offre deux propositions sur des problématiques liées à la formation ouverte et à distance, du point de vue des apprenants, et manière ténue, des apprenantes pour le texte d’Inoussa Guire, et du point de vue des dispositifs dans une démarche d’évaluation pour Mélama Coulibaly et Sondess Ben Abid-Zarrouk.
Ainsi, Inoussa Guire dans la première proposition s’intéresse aux obstacles rencontrés pour se former à distance du point de vue des apprenants du Sud (Abidjan, Niamey, Ouagadougou) de niveau Master 2. La recherche décrit les obstacles à la formation ouverte et à distance des campus numériques francophones et leurs solutions à partir des points de vue des apprenants du Sud précisément du Burkina, de la Côte d’Ivoire et du Niger. Les résultats laissent entrevoir des obstacles tant au niveau des universités qui fournissent les formations qu’au niveau local impliquant généralement l’apprenant lui-même.
Enfin, Mélama Coulibaly et Sondess Ben Abid-Zarrouk proposent un modèle d’évaluation de l’efficacité d’un dispositif de formation à distance IFADEM. Leur article interroge l’apport de ce dispositif dans l’amélioration des compétences des enseignants en formation continue et à distance. En effet, partie d’un questionnaire test élaboré par des experts internationaux travaillant avec des expertises locales, l’étude retrace les particularités des formations reçues à distance par les stagiaires de trois pays dont la Côte d’Ivoire, le Niger et la République Démocratique du Congo-Katanga. Les résultats indiquent une évolution nette des compétences dans ces trois pays montrant ainsi l’efficacité du dispositif IFADEM quel que soit l’environnement ou le public concerné
L’ensemble de ces travaux montre que le sujet est complexe, profondément ancré dans des questions culturelles et sociétales, et que les technologies numériques en éducation opèrent plutôt comme un révélateur des inégalités entre les hommes et les femmes au sein des sociétés, notamment sur les questions liées aux contraintes spécifiques qui pèsent sur les filles et les femmes, et donc sur leur capacité à s’engager dans des études, voire à se sentir légitimes à les poursuivre. Les travaux présentés interpellent aussi les représentations négatives qu’elles ont sur elles-mêmes, et en quoi cela les empêche parfois de se projeter dans certains types d’études. Enfin, les travaux montrent les pressions sociales et idéologiques excessives qu’elles subissent parfois quand elles souhaitent s’émanciper par les études. Les TICE sont souvent présentées comme un support d’émancipation des femmes, mais en réalité, il semble que cela ne pourra être possible qu’avec des politiques volontaristes pour le changement des mentalités en matière d’égalité entre hommes et femmes dans l’accès à l’éducation et la formation.