Editorial


Date de publication : 08 octobre 2021

Jacques Wallet, un acteur marquant des technologies en éducation


Rendre un hommage posthume aux personnes avec qui on a des affinités ou envers qui on se sent une dette est une sorte de devoir sacré ainsi qu’une contribution à la cohésion d’une communauté qui est déstabilisée par la disparition de l’un des siens. Ces hommages ont pour sens, au-delà de paroles toujours un peu convenues, de chercher à condenser et à partager ce qui nous a marqués de la rencontre avec quelqu’un de remarquable.

Jacques Wallet a été une personnalité remarquable de la recherche francophone sur les technologies en éducation. C’est un domaine où il a été actif pendant plus de trois décennies, d’abord comme innovateur et praticien en recherche puis comme enseignant-chercheur de plein exercice. Si la recherche n’a représenté qu’une facette de son activité, elle a toujours été une référence de base au service de la formation (et en particulier la formation à la recherche), et aussi au service d’une action émancipatrice. Une partie non négligeable de son activité a en effet été de concevoir et d’impulser des projets francophones de recherche et d’innovation. L’Afrique subsaharienne a été pour lui un domaine tout à fait privilégié.

Comme innovateur, il a d’abord été spécialiste de la conception de films à visée éducative, en particulier pour former des maîtres en géographie, et il en a produit un certain nombre au-delà de cette discipline. Son approche filmique a évolué jusqu'à imaginer des scénarisations d'une séquence pédagogique rejouée plusieurs fois où chaque scène filmée est vécue par les élèves et les enseignants, jouant leur propre rôle, produisant alors des solutions pédagogiques et didactiques plurielles afin de laisser les spectateurs actifs de l'analyse et du choix qu'ils peuvent s'approprier en fonction de leur contexte professionnel.

Ayant décidé de préparer une thèse de doctorat et de s’engager à terme dans la carrière universitaire, Jacques a dû se rattacher à une discipline institutionnalisée, en l’occurrence les sciences de l’éducation. Sa thèse de doctorat, en 1994, porte sur les apports des films dans les enseignements de géographie. Elle manifeste clairement un ancrage en didactique de la géographie tout en s’intéressant à la pédagogie. Il a ensuite conjugué ces deux domaines au sein d’un laboratoire réputé en sciences de l’éducation, le CIVIIC devenu ensuite le CIRNEF.

Son intérêt s’est rapidement élargi aux technologies en éducation et en formation. Comme tout le monde à cette époque, il s’est inscrit dans les cadres de référence existants en revendiquant explicitement une spécificité systémique et multi référencée en s’appuyant sur les théories qui lui semblaient les mieux adaptées, selon un syncrétisme de bon aloi.

Sa réflexion s’est ensuite portée en priorité sur la formation à distance instrumentée par les outils de communication en réseau, en particulier dans les pays du sud, notamment avec RESAFAD. Il faisait l'hypothèse que les technologies étaient indispensables et « constituaient un enjeu majeur pour l'amélioration des conditions d'enseignement » (2001, p. 9) de ces pays. Il s’est préoccupé des moyens de l’étudier, toujours avec une visée applicative, puisqu’il a mis en œuvre à grande échelle ses intuitions au sein de dispositifs, dont le plus célèbre est sans doute le campus numérique FORSE. Son travail s'est ensuite porté sur IFADEM puis APPRENDRE.

Dans son habilitation à diriger des recherches en 2001, il réfléchit aux modalités et aux méthodes adaptées à l’étude des technologies en éducation et formation. Plus particulièrement, il y étudie la topologie de ce champ de recherche, y distinguant en particulier cinq « topiques » ou points de tension interagissant entre eux, c’est-à-dire « des enjeux implicites ou explicites qui impliquent l’adoption ou le rejet des NTIC, sur une durée variable, par un enseignant, une collectivité ou une institution éducative » (2001, p. 58).

Il distingue la crainte de la concurrence, le dilemme direct ou différé, la compréhension des élèves, la place au sein d’une discipline, utiliser ou fabriquer un multimédia… Il est frappant que ses analyses soient toujours systémiques, des modes de recherche étant respectivement mis en lien avec ces topiques (les approches qu’il nomme réflexive, inductive, d’essai) …

Ce parti-pris sera ensuite maintenu et c’est sur ces premières analyses qu’il s’est appuyées à la fin de la décennie 2000-2010 pour proposer un autre modèle théorique d’analyse des situations utilisant les technologies en milieu éducatif : le carré PADI (Pédagogie, Apprenant, Dispositif, Institution). Ce carré exprime des relations entre ces différents pôles, l’idée étant que l’évolution de l’un d’entre eux a des conséquences sur les autres qu’il convient d’analyser, sachant qu'il tend toujours à évoluer vers l’équilibre, soit dans un état différent de l’état initial soit, si les changements ne sont pas durables, en revenant à l’état initial.

Cette suggestion théorique donne des axes privilégiés d’analyse de situations concrètes. L’enjeu est non seulement de décrire ce qui advient autour de ces pôles mais aussi d’analyser comment évoluent leurs relations réciproques dans le temps. Cette deuxième tâche est la plus complexe car il est difficile d’analyser la dynamique des situations dans des recherches qui sont souvent de courte durée.

Parfois, il est tentant pour des chercheurs pressés d’adopter une approche réductionniste du modèle. Cela ne veut d’ailleurs pas dire qu’il a été inutilement mobilisé, car un modèle ne vaut surtout par sa vertu à renforcer la réflexion des personnes qui l’utilisent.

Jacques a publié une série de textes (dont on trouvera une liste à la fin de ce numéro), de prises de position publiques, notamment dans les colloques où il faisait toujours entendre la voix de l’optimiste prudent[1] en s’opposant tant aux technolâtres qu’aux techno sceptiques.

Il a formé nombre d’étudiants, travaillé à convaincre des collègues de la pertinence de ses choix et a joué un très important rôle d’impulsion. Maintenant, est venu le temps des hommages posthumes.

Ce numéro d’hommage de la revue Frantice fait suite au précédent, où des collègues de Jacques Wallet ont parlé des différentes facettes de son activité. Celui-ci présente un échantillon de témoignages et de réflexions de chercheurs, tant des collègues que d’anciens étudiants et d’anciennes étudiantes. Rappelons que Jacques était particulièrement attaché à l'aspect patrimonial lié aux questions de recherche en TIC interrogeant en quoi les problématiques posées par l'enseignement avec les TIC se rapportent à des éléments pédagogiques et didactiques anciens, récurrents ou nouveaux et innovants. Aussi, ces textes sont écrits par des chercheurs qui connaissent et utilisent son apport et portent un regard sur son actualité, forme d'itération réflexive entre le passé et l'avenir.

Nous y avons aussi joint le témoignage d’un informaticien qui a rendu possible l’implémentation des idées développées par Jacques. Ce texte symbolise aussi combien Jacques se préoccupait systématiquement de rassembler des acteurs aux profils différenciés dans les projets considérant les complémentarités de chacun.

Les quelques textes rassemblés ici ne peuvent bien entendu pas résumer l'œuvre de Jacques, il vaut la peine de la relire ou de la découvrir.

Georges-Louis Baron et Emmanuelle Voulgre, EDA, Université de Paris



[1]Au sens de Larry Cuban (1997) dans : Rencontre entre la classe et l’ordinateur : La classe gagne. Recherche et formation, 26, 11-29. http://edutice.archives-ouvertes.fr/edutice-00000797.


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Pour citer ce document

(2021). Editorial. frantice.net, Numéro 19.3 - Septembre 2021. Récupéré du site de la revue : http://frantice.net/index.php?id=1743. ISSN 2110-5324




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