Si le champ de la recherche sur les technologies pour l’éducation (qu’on nomme encore souvent TICE dans l’attente d’un nouvel acronyme) existe depuis les années 1960, ses contours et son organisation interne ont beaucoup évolué, en fonction notamment des vagues successives de diffusion de nouveaux artefacts. Certaines de ses caractéristiques (qui ne sont sans doute pas spécifiques de ce champ), sont en revanche restées assez stables.
D’abord, les communautés thématiques qui sont nées, se sont développées et transformées. Elles ont conservé un caractère pluridisciplinaire marqué, à l’interface entre la recherche et la pratique, et sont restées relativement tolérantes à l’égard de la recherche-action et de l’innovation pédagogique.
Ensuite, ces communautés se sont toujours constituées autour d’institutions à caractère relativement alternatif, (même quand elles ont été subventionnées par des politiques publiques), capables d’organiser des colloques, des publications, de créer des revues et d’offrir un cadre de diffusion à des travaux d’investigation trouvant souvent difficilement à s’exprimer dans les tribunes bien établies. On peut ainsi citer le rôle tout à fait remarquable d’associations comme l’EPI , l’Association francophone de didactique de l’informatique (maintenant en sommeil), l’ATIEF (Association des technologies de l’information pour l’éducation et la formation).
Enfin, dans un monde globalisé où la domination de la langue anglaise est forte, des équipes de recherche francophones continuent à produire et à prospérer, justement parce qu’existent des supports de publication en français faisant l’objet d’une certaine reconnaissance par les instances d’évaluation de la recherche, qui distinguent entre revues de référence (souvent classées en type A et B) et revues d’interfaces ou de praticiens.
Frantice.net est une des dernières nées des revues francophones dotée de comités internationaux, scientifique, et de lecture, consacrée aux technologies en éducation. Sa place est originale : elle ne vise pas à se placer en situation de concurrence par rapport aux revues établies (dont les plus prestigieuses sont la revue en ligne STICEF et Distances et savoirs ) mais cherche à offrir un espace de publication reconnue à des travaux écrits en français se situant à l’interface entre recherche, recherche-action et innovation.
Quand un article de recherche est publié, c'est qu'il a passé l'épreuve d'une lecture critique par des experts. Frantice.net ne déroge pas à cette règle, même si elle cherche, davantage que les revues de référence, à promouvoir les travaux de « jeunes » chercheurs, au Nord comme au Sud. Pour être sélectionnée, une contribution doit satisfaire à des critères standards : l’originalité, la présentation précise de la ou des questions de recherche, l’explicitation de la méthodologie employée, l’exposition argumentée de résultats, la présentation de références bibliographiques et sitographiques).
Ce second numéro, paraissant moins de six mois après le premier, atteste de la vitalité du milieu de recherche francophone international sur les TICE.
Parmi les 14 propositions de contributions reçues en réponse à l’appel lancé en juillet 2010, 5 ont été sélectionnées comme articles de recherche et 1 comme contribution d’ouverture. Ces 6 articles correspondent à un large spectre de situations, concernant le scolaire, le parascolaire et l’enseignement supérieur, les enseignants et les apprenants, avec une présence forte de cas situés en Afrique, dans des conditions où la mise en œuvre des technologies pour apprendre ne va pas de soi. Je relève aussi, pour m’en réjouir, même si je sais qu’on ne fait pas de statistiques sur de petits nombres, une parité entre hommes et femmes dans les auteur-e-s des textes.
Kokou Awokou se penche d’abord sur la question de l’utilisation des TIC par des étudiants d’université au Togo. Il s’agit d’une étude de cas concernant un établissement privé attribuant à ses étudiants un ordinateur portable. Ses résultats, fondés principalement sur les réponses à un questionnaire, montrent que les usages sont variés, pas seulement liés au travail universitaire mais qu'ils dépendent cependant des conditions d’étude et du parcours choisi.
Aurélie Beauné, pour sa part, a travaillé sur une association parisienne d'éducation populaire mettant en œuvre un large spectre d'activités reposant sur différents types d'usage d’ordinateurs. La méthode qu’elle a utilisée repose sur la théorie de l’activité d’Engeström. Elle a observé, dans la durée, de manière assez fine, ce qui se joue dans un cadre parascolaire, ce qui la conduit en particulier à attirer notre attention sur l’importance du « maillage » d’activités.
Mar Mbodj s’intéresse quant à lui à la question de l’adoption de référentiels de compétences pour les enseignants et les administrateurs des écoles pilotes du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD). Son étude, qui a le mérite de poser directement la question de l’acceptabilité de ces référentiels pour des acteurs locaux de l’enseignement, débouche sur des questions qui sont intéressantes en tant que pistes pour de nouvelles recherches : dans l'hypothèse où serait adopté en Afrique un système de validation sous la forme d’une certification, quelle forme lui donner, comment garantir sa qualité et sa validité ?
Marcelline Tchamabé a étudié la question du genre vis-à-vis des technologies. Menant une étude de cas au Cameroun dans le cadre de l'Observatoire PANAFricain de recherche sur l’intégration des TIC en éducation (PANAF), elle a mis en perspective des entretiens individuels avec des enseignants et des élèves, et des groupes d’entretien focalisés et statistiques. Ses résultats suggèrent que les filles travailleraient davantage que les garçons au centre de ressources multimédias et auraient de meilleurs résultats scolaires.
Yaba Tamboura a elle aussi travaillé dans le cadre du PANAF, s’intéressant à la question des attitudes des enseignants à l'égard des TIC en classe. S’appuyant sur une enquête menée auprès d’un nombre important d’enseignants de différents pays d’Afrique subsaharienne, elle analyse les difficultés de la prise en compte de ces technologies, dans un contexte où le rôle des enseignants se complexifie, devant des effectifs nombreux, sans qu’ils aient toujours pu suivre une formation leur permettant de ne pas perdre la face devant leur public.
Enfin, dans un autre registre, Emmanuel Tonye présente un modèle de formation à distance (FOCAD) et la mise en œuvre qui en a été faite dans un des masters de télécommunication d’une école d’ingénieurs de Yaoundé : le MASTEL. Il propose ainsi une méthodologie pour développer des formations à distance dans le contexte africain.
Finalement, cette livraison de réflexions et de résultats portant sur des situations témoigne d’une grande vitalité de questionnements et de recherches et atteste de l’existence d’un processus actif de production de connaissances sur les possibilités et les limites des technologies en éducation. Cela me semble bien augurer de l’avenir de la revue frantice.net.