Si l’évolution du système scolaire français mobilise de longue date ses acteurs et observateurs, son étude prend une tournure particulière dans le courant des années 1980, sous la dénomination de « crise de l’École » ou de « déclin de l’institution ». A ces conceptions répondent nombre de projets de réforme, de refonte, d’appels aux changements traditionnellement portés par les représentants politiques du système éducatif. De sorte que la construction et l’évolution de l’École française se trament dans l’alternance des crises, des reconfigurations et des transformations qui en découlent. Dans cette perspective, les auteurs de l’ouvrage École et mutation, pour la plupart membres du Laboratoire EMA (École, Mutations, Apprentissages - EA 4507) de l’Université de Cergy-Pontoise, cultivent à travers la déclinaison du concept de mutation la fécondité d’un opérateur qu’ils déclinent selon six axes majeurs : (1) Reconfigurations sociétales et processus de subjectivation. (2) Les politiques scolaires, entre changements et mutations. (3) Transformations institutionnelles et redéfinition des rôles. (4) Les acteurs, entre résistances et inventions pédagogiques. (5) Entre remaniements et restructurations disciplinaires. (6) Nouvelles pratiques didactiques et déplacements symboliques. L’articulation entre chaque partie est assurée par la transversalité de certaines thématiques et certains concepts, parmi lesquels les enjeux et usages des TICE et du numérique à l’École tiennent une place importante.
Dans « L’École, la cybernétique et la société de la connaissance » (1), Emmanuel Brassat file crise du capitalisme, crise de l’École, crise de la transmission et crise institutionnelle des disciplines d’enseignement, qu’il rapporte aux conceptions contemporaines du capital humain, dont plusieurs instruments sont empruntés à la théorie de la communication qui elle-même, en réfère à la cybernétique. En construisant méthodiquement les raisons d’un antagonisme entre paradigme cybernétique, humanité scolaire et société de la connaissance, l’auteur argumente une critique des modèles communicationnels en terme de transmission des savoirs et d’épanouissement de l’intelligence humaine. Dans « Les Espaces Numériques de Travail (ENT) : un catalyseur de changements pour l’École » (3), Sylvain Genevois interroge le pouvoir de transformation des ENT en privilégiant l’hypothèse d’une adoption progressive de l’innovation, déclinant notamment les notions de changement et de résistance. Dégageant l’évolution des pratiques pédagogiques au sein des ENT via différents modèles de diffusion des technologies numériques en éducation, Genevois développe l’idée d’une « école étendue » où la forme scolaire perdure au travers de l’ENT, qui s’inscrit à la fois comme élément de changement et de stabilité, voire de pérennisation du changement. Dans « Penser autrement la mutation des pratiques scolaires avec les technologies informatisées » (3), François Villemonteix interroge la possibilité de penser la mutation des pratiques pédagogiques avec les technologies autrement que sur le mode de l’innovation. Reprenant la genèse de l’intégration des technologies à l’École, l’auteur prône un renouvellement de l’approche des processus et des enjeux des techniques informatisées en milieu scolaire, notamment par la fondation d’une culture informatique à l’école et la possibilité d’évaluation des compétences informatiques hors curriculum (B2i). Dans « Quand l’enseignement se passe hors les murs : des mutations lors de l’appropriation par des enseignants d’une modalité d’enseignement à distance » (4), Jean-Michel Gélis s’intéresse au dispositif d’Apprentissage COLlaboratif A Distance (ACOLAD) développé en 2010 à l’IUFM de Cergy-Pontoise, et déploie les mutations et inventions engendrées par les technologies de l’enseignement et les nouvelles pratiques qu’elles induisent, faisant apparaître un phénomène d’hybridation entre usages entre enseignements présentiels et à distance. Dans « Les TICE et la géographie scolaire, approche autobiographique » (5), Jean-Pierre Chevalier développe les paradoxes entre évolutions technologiques des supports d’enseignement de la géographie à l’École, et la permanence d’une pédagogie magistro-centrée. Dans « Pratiques d’écritures créatives en humanités numériques : déplacements, transformations ou mutations » (6), Luc Dall’Armellina s’appuie sur le triptyque conceptuel susmentionné pour associer écritures créatives, écritures numériques, et en déduire les effets dans l’École et la société.
En croisant les prismes théoriques, méthodologiques, les objets et les niveaux d’analyse, l’ouvrage École et mutation s’inscrit dans une perspective épistémologique susceptible de produire une réflexion renouvelée des changements à l’œuvre dans l’institution scolaire, tant du point de vue de sa structure, de ses acteurs, du savoir et de ses modes de diffusion, que de leur inscription dans le lien social contemporain.